La réforme de l’assurance emprunteur en France : bilan et perspectives

Jusqu’en 2022, le marché français de l’assurance emprunteur était dominé par les banques, qui détenaient près de 88 % des parts de marché. Cette situation de quasi-monopole engendrait un manque de concurrence et des tarifs élevés pour les emprunteurs. De nombreux acteurs appelaient à une réforme en profondeur du secteur. C’est dans ce contexte que la loi Lemoine a été adoptée en février 2022, après plusieurs années de débats. Portée par la députée Patricia Lemoine, cette loi visait à rééquilibrer le rapport de force entre banques et assureurs alternatifs, tout en offrant plus de liberté et de protection aux emprunteurs.

Main Calculette Assurance Emprunteur Decés

Les cinq mesures phares de la loi Lemoine

La réforme de l'assurance emprunteur s'articule autour de cinq mesures clés, entrées en vigueur progressivement à partir de juin 2022. Consultez l’article source pour en savoir plus à ce sujet.

La résiliation à tout moment

Les emprunteurs peuvent désormais résilier leur assurance à n'importe quel moment, sans frais ni pénalités. Cette mesure permet de faire jouer la concurrence et de souscrire à une offre plus avantageuse, souvent proposée par un assureur alternatif. Le changement d'assurance peut se traduire par des économies substantielles, pouvant atteindre 15 000 euros sur la durée d'un prêt de 250 000 euros sur 20 ans.

La suppression du questionnaire de santé

Pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros par personne, avec un remboursement prévu avant 60 ans, le questionnaire de santé a été supprimé. Cette mesure vise à faciliter l'accès à l'assurance pour les personnes ayant des antécédents médicaux. Toutefois, certains acteurs craignent une hausse globale des tarifs, de 15 à 40 %, pour compenser le surcoût lié à la prise en charge de profils plus risqués.

Une fiche d'information enrichie

Pour améliorer la transparence et la comparabilité des offres, une fiche standardisée a été mise en place. Elle inclut notamment le coût de l'assurance sur 8 ans, les garanties proposées en cas d'invalidité, les éventuelles options individuelles et les modalités de résiliation. Grâce à cette fiche, les emprunteurs sont mieux informés et peuvent plus facilement comparer les différents contrats.

Des procédures simplifiées

Changer d'assurance est devenu plus simple depuis la réforme. Si les garanties proposées sont équivalentes, la résiliation peut être effective dès le lendemain, sans délai de carence ni formalités complexes. Les démarches administratives ont été allégées pour faciliter la mobilité des emprunteurs et stimuler la concurrence.

Un droit à l'oubli renforcé

Pour les personnes ayant été atteintes d'un cancer ou d'une hépatite C, le délai au-delà duquel ces pathologies ne sont plus prises en compte par les assureurs a été réduit de 10 à 5 ans. Cette avancée, obtenue dans le cadre de la convention AERAS (s'Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé), permet aux anciens malades d'accéder à l'assurance dans des conditions standard.

Des impacts significatifs sur le marché

Trois ans après son entrée en vigueur, la réforme de l'assurance emprunteur a rebattu les cartes et fait souffler un vent de liberté sur le marché. Les assureurs alternatifs ont gagné du terrain, passant de 12% de parts de marché en 2022 à 16,1% en 2023, selon le Comité consultatif du secteur financier. Cette hausse témoigne d'une dynamique de diversification et de concurrence accrue, qui profite aux emprunteurs.

De nombreux ménages ont pu faire des économies en renégociant leur assurance, parfois dès la première année de leur prêt. Avec des gains pouvant atteindre plusieurs milliers d'euros, le changement d'assurance est devenu un réflexe pour beaucoup d'emprunteurs, qui n'hésitent plus à faire jouer la concurrence.

Des défis persistants et des limites pour changer d’assurance

Malgré ces avancées, la réforme a aussi ses limites et ses zones d'ombre. La suppression du questionnaire de santé, si elle facilite l'accès à l'assurance pour certains profils, fait craindre une hausse globale des tarifs pour compenser le surcoût lié aux risques aggravés. Certains assureurs pourraient être tentés de réduire leurs garanties ou d'augmenter leurs prix pour préserver leurs marges.

Par ailleurs, malgré les efforts de simplification, changer d'assurance reste un parcours semé d'embûches pour beaucoup d'emprunteurs. Les banques, soucieuses de préserver leur position dominante, n'hésitent pas à mettre des bâtons dans les roues de ceux qui souhaitent résilier leur contrat. Délais artificiellement allongés, demandes de pièces justificatives abusives, refus infondés : les témoignages d'emprunteurs confrontés à ces pratiques sont légion.

Enfin, la réforme n'a pas totalement gommé les inégalités d'accès à l'assurance. Si le droit à l'oubli a été renforcé, les personnes ayant des antécédents médicaux lourds ou des pathologies chroniques peinent toujours à s'assurer dans des conditions abordables. La convention AERAS, bien que saluée comme une avancée, ne couvre qu'un nombre limité de pathologies et n'offre pas toujours des garanties suffisantes.

Les réflexions en cours pour réformer en profondeur l’assurance emprunteur

Face à ces limites et ces défis, certains acteurs appellent à aller plus loin dans la réforme de l'assurance emprunteur. Le Comité consultatif du secteur financier, dans son rapport d'évaluation de mars 2024, préconise plusieurs pistes d'amélioration :

  • L'idée d'un "contrat unique" d'assurance emprunteur, souscrit directement par l'emprunteur auprès de l'assureur de son choix, sans passer par la banque. Ce système, déjà en vigueur dans plusieurs pays européens, permettrait de supprimer le lien entre le prêt et l'assurance et de renforcer la concurrence.
  • L'amélioration de l'information des emprunteurs, en renforçant les obligations de transparence des assureurs et en développant des outils de comparaison en ligne. L'objectif est de permettre à chacun de faire un choix éclairé, en toute connaissance de cause.
  • L'extension du droit à l'oubli à d'autres pathologies, comme les maladies chroniques ou les affections de longue durée. Cette mesure permettrait à davantage de personnes ayant été malades d'accéder à l'assurance dans des conditions standard, sans subir de surprimes ou d'exclusions.

Mais ces évolutions ne font pas l'unanimité. Les banques, qui restent le premier canal de distribution de l'assurance emprunteur, sont réticentes à l'idée d'un contrat unique qui les priverait d'une source de revenus substantielle. Les assureurs, de leur côté, craignent qu'une extension du droit à l'oubli ne déséquilibre leurs modèles économiques et ne les contraigne à augmenter leurs tarifs.

Après la loi Lemoine, vers un marché plus juste et transparent ?

La réforme de l'assurance emprunteur initiée par la loi Lemoine en 2022 a profondément transformé le marché français, en donnant plus de liberté et de pouvoir de négociation aux emprunteurs. Trois ans après son entrée en vigueur, le bilan est globalement positif, avec une concurrence accrue, des économies substantielles pour les ménages et un accès facilité à l'assurance pour certains profils.

Mais des défis persistent, qu'il s'agisse de la hausse potentielle des tarifs, des freins mis par les banques aux changements d'assurance ou des inégalités persistantes d'accès à l'assurance pour les personnes ayant des risques aggravés de santé.

Pour les emprunteurs, l'enjeu est de se saisir pleinement des opportunités ouvertes par la réforme, en n'hésitant pas à faire jouer la concurrence et à comparer les offres. Les outils de simulation en ligne peuvent être une aide précieuse pour y voir plus clair et faire le bon choix.

Au-delà des stratégies individuelles, c'est une réflexion collective qui doit être menée sur l'avenir de l'assurance emprunteur. Comment construire un marché plus juste, plus transparent, plus inclusif ? Comment concilier l'impératif de solidarité avec celui de la viabilité économique ? Ces questions complexes appellent un débat de société, impliquant tous les acteurs concernés : emprunteurs, banques, assureurs, pouvoirs publics.

L'assurance emprunteur conditionne l'accès au crédit immobilier, et donc à la propriété, pour des millions de ménages. À ce titre, elle doit faire l'objet d'une attention particulière et d'un encadrement rigoureux, pour garantir à chacun la possibilité de réaliser son projet dans des conditions équitables.

La loi Lemoine a posé les premiers jalons d'une réforme ambitieuse. Il appartient maintenant à tous les acteurs de se saisir de cette dynamique pour construire un modèle d'assurance emprunteur plus juste et plus performant, au service de l'intérêt général. Les prochaines années seront décisives pour relever ce défi et écrire une nouvelle page de l'histoire de l'assurance emprunteur en France.