La réserve héréditaire est une fraction de la succession devant être obligatoirement remise aux héritiers dits réservataires. Explication complète.
La réserve héréditaire
Définition de la réserve héréditaire
La réserve héréditaire constitue la part minimale du patrimoine (biens et droits successoraux) attribuée aux héritiers protégés dits « réservataires » dans la cadre d’une succession (qu’ils sont libres d’accepter ou d'y renoncer). La valeur de la réserve varie en fonction du nombre d’enfants ainsi que de la volonté ou non du défunt à vouloir gratifier son conjoint de son vivant.
La quotité disponible elle, représente la part du patrimoine n’étant pas réservée par la loi Française et dont le légataire a pu disposer librement de son vivant ou à son décès par des libéralités.
L'addition de la réserve héréditaire et de la quotité disponible est donc égale à la totalité de la masse successorale. C'est au jour du décès que sont appréciées quotité disponible et réserve héréditaire prenant en considération les donations antérieures, le cas des donations-partages étant spécial.
A quoi sert la réserve héréditaire ?
La fonction de la réserve est de protéger les héritiers réservataires contre l'arbitraire de la volonté du de cujus, et les libéralités qui en sont la manifestation. En y regardant de plus près, cette fonction se dédouble :
- Elle protège les réservataires contre les libéralités adressées à des étrangers susceptibles de les déshériter (c'est la fonction collective de la réserve) ;
- Elle protège également les réservataires contre les libéralités consenties à l'un d'eux qui seraient susceptibles de l'avantager par rapport aux autres, au mépris de l'égalité successorale (c'est la fonction individuelle de la réserve).
Qui sont les héritiers réservataires ?
Sont aujourd'hui héritiers réservataires :
- les descendants ;
- le conjoint survivant, en l'absence de descendants.
1. Les descendants (enfants)
Il est impossible de déshériter ses enfants : la réserve des enfants en est la preuve. Les articles 913 et 913-1 du Code civil accordent la qualité d'héritier réservataire aux descendants du défunt. Il n’y a que dans le cas ou la succession est inexistante ou déficitaire que les descendants ne reçoivent rien au jour du décès de leur parent.
La réserve héréditaire est égalitaire : tous les descendants sont réservataires. En application du principe d'égalité des filiations, peu importe leur lien de parenté biologique avec le défunt. Notamment, l'enfant adopté est réservataire dans la succession de ses père et mère biologiques comme dans celle de ses père et mère adoptifs, qu'il s'agisse d'une adoption simple ou d'une adoption plénière.
Néanmoins, l'enfant adopté simple n'est pas réservataire à l'égard des ascendants de l'adoptant, y compris lorsque l'enfant adopté simple vient par représentation de l'adoptant à leur succession. La raison en est simple : l'adoptant ne peut imposer à ses père et mère contre leur volonté un héritier qui disposerait d'une réserve dans leur succession et limiterait ainsi leur liberté testamentaire.
En application de l'article 913-1 du Code civil, peu importe le degré de parenté qui relie le descendant au défunt (enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, etc.)
Encore faut-il que le descendant soit appelé à la succession en rang utile. Par exemple, le descendant indigne n'est pas réservataire ainsi que celui qui est devancé par un descendant plus proche en degré (un petit-enfant, si l'enfant dont il est issu, accepte la succession du de cujus).
Encore faut-il que le descendant accepte la succession. Le descendant renonçant ne peut réclamer sa réserve puisqu'il est réputé n'avoir aucun droit dans la succession.
- S’il n’existe qu’un seul enfant, la réserve équivaut à la moitié de succession (quotité disponible = ½ aussi par le fait. L’autre moitié est donc libre de léguer la moitié de son patrimoine a un tiers par testament.
- S'il y a deux enfants, leur réserve équivaut aux 2/3 de la succession (quotité disponible = 1/3)
- s'il y a 3 enfants ou plus, leur réserve est égale aux 3/4 de la succession (quotité disponible = 1/4).
Si l’un des descendants décède avant le légataire et qu’il avait lui-même une descendance (un ou plusieurs enfants), alors la réserve revient au(x) petit(s)-enfant(s) du légataire. S’ils sont plusieurs, il se partageront sa part réservataire.
La réserve ne peut nullement être diminuée pour les descendants :
- si l'un des descendants refuse la succession et qu'il n'a lui-même pas d’enfant, on ne compte alors pas sa part de réserve. Sa part augmente la part des autres enfants. S’il a des enfants, ceux-ci peuvent le représenter et recueillir sa part de succession.
- s'il y a un conjoint survivant, sa part est imputée sur la quotité disponible ;
- La réserve, en présence de 3 enfants est égale aux 3/4 de la succession :
- Louise et Fanny recueilleront ¼ de la part.
- Les deux enfants de Marie se partageront le 3eme quart.
- La quotité disponible (le dernier quart) reviendra alors à l’ami de la défunte.
2. Le conjoint survivant
Le cercle des réservataires se resserre en quelque sorte autour du noyau familial : la réserve est accordée à ceux à qui le défunt a donné la vie, et à celui auprès duquel il a passé une partie de sa vie.
C’est finalement assez récent, puisque c’est la loi du 3 décembre 2001 qui a permis d’octroyer une place à part entière au conjoint survivant dans la succession.
La loi du 3 décembre 2001 relative à l'amélioration des droits du conjoint survivant a inventé la réserve conjugale. Innovation symboliquement forte, le conjoint survivant prend place parmi les réservataires dans les successions ouvertes après le 1er juillet 2007.
Cette mesure est essentiellement destinée à protéger le « conjoint isolé » contre une exhérédation.
Elle a pourtant été accueillie avec scepticisme, voire hostilité, par ceux qui privilégient :
- la conservation des biens dans la famille par le sang ;
- la liberté testamentaire ;
- le mariage, et redoutent qu'elle incite au divorce les personnes mariées qui entendent priver leur conjoint de sa réserve.
En dépit de ces critiques, la loi du 23 juin 2006 a étendu le domaine de la réserve conjugale dans les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007.
3. Les ascendants
Les ascendants ont été privés de leur réserve par la loi du 23 juin 2006. Ils ne sont donc plus réservataires à hauteur d’1/4 par ligne.
Ainsi, les parents ne peuvent hériter de leur enfant qu’en cas d’absence de conjoint et de descendants et le défunt n'avait pas d’enfant - disposer de ses biens en faveur d’une personne de son choix par le biais d’un testament ou d’une donation (de son vivant).
Un « droit de retour » pour les ascendants
La réforme n°2006-728 du 23 juin de 2006, pour contrebalancer la privation de leur réserve, a aussi organisée un droit de retour au profit des parents - portant sur les biens qu’ils auraient pu donner à leur enfant lorsqu’il était en vie.
Chacun des parents peut donc réclamer « un droit de retour » à hauteur du ¼ de ces biens donnés. Théoriquement, ce droit s’effectue en nature (le légataire ou le conjoint a l’obligation de restituer les biens). Dans le cas où le retour serait impossible (bien impartageable ou n’existant plus), il s’effectue alors en valeur.
TABLEAU RECAPITULATIF | ||
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HÉRITIERS EN PRÉSENCE | Part pouvant être donnée à un tiers | Réserve (répartie entre les héritiers réservataires) |
1 enfant (ou ses descendants s'il est décédé) | La moitié des biens | La moitié des biens |
2 enfants (ou leurs descendants) | 1/3 des biens | 2/3 des biens |
3 enfants ou plus (ou leurs descendants) | 1/4 des biens | 3/4 des biens |
Père et mère (pas d'enfant) | La totalité des biens | néant |
Des grands parents dans les deux lignes (paternelle et maternelle) > Pas d'enfant ni de parent ni de conjoint | La totalité des biens | néant |
Des grands parents dans une seule ligne (paternelle ou maternelle) > Pas d'enfant ni de parent ni de conjoint> | La totalité des biens | néant |
Le conjoint survivant (pas de descendants) | 3/4 des biens | 1/4 des biens |
S'il n'y a pas d'enfant ni des descendants, ni de parents, ni de grands-parents, ni de conjoint survivant | La totalité des biens | néant |
Suivant les cas, un père ou une mère peuvent donc librement disposer de la moitié, du tiers ou du quart de leur patrimoine de leur vivant.
La réserve héréditaire peut-elle permettre de favoriser un héritier ?
Oui, c’est possible en s’appuyant sur la quotité disponible par le biais d’une donation du vivant du légataire, ou encore par legs particulier (une somme d’argent ou un bien) ou un legs universel.
Attention tout de même, la valeur du legs ne doit néanmoins pas outrepasser la valeur de la quotité disponible – cela pourrait devenir problématique au jour de la succession. En effet les autres héritiers seraient dans leur droit de réclamer la part qui leur reviendrait de droit.
Quelles différences entre réserve héréditaire et quotité disponible ?
Ce qui distingue la quotité disponible de la réserve héréditaire est expliqué par l‘article 912 du code civil :
La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.
La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités.
Une approche qualitative et quantitative de la réserve
L'ordre public réservataire se manifeste tant d'un point de vue quantitatif que d'un point de vue qualitatif :
- Quantitativement, une fraction du patrimoine du défunt constitue la réserve globale des héritiers réservataires, à laquelle les libéralités consenties par le de cujus ne peuvent porter atteinte sous peine d'être réduites à la quotité disponible.
- Qualitativement, la réserve doit être servie en pleine propriété et libre de toute charge sauf à ce que la charge soit cantonnée à la quotité disponible. Elle ne peut, par exemple, être grevée d'un droit d'usufruit, d'une clause d'inaliénabilité, d'une obligation de conserver et de rendre comme dans les libéralités graduelles, ou encore d'une clause d'entrée en communauté...
Cet ordre public tend cependant à s'adoucir, surtout depuis la loi du 23 juin 2006 réduisant la réserve, en raison, notamment, de la volonté du législateur moderne de faciliter l'anticipation successorale et de garantir la sécurité juridique du gratifié et de son ayant cause.
Ainsi, en dépit des principes ci-dessus rappelés :
- La réduction des libéralités excessives s'exerce désormais en valeur et non en nature ;
- Il est même possible d'y renoncer après comme avant l'ouverture de la succession.
- La réserve des descendants est servie en nue-propriété seulement lorsqu'elle est grevée d'un usufruit au profit du conjoint survivant ;
- L’héritier réservataire peut être privé de ses pouvoirs d'administration sur les biens qui composent sa part de réserve par un mandat posthume de même que le représentant légal du mineur peut être privé de ses pouvoirs d'administration sur les biens donnés ou légués au représenté s'ils ont été confiés à un tiers, y compris lorsque ces biens composent la réserve du mineur selon une doctrine autorisée.
Historique de la réserve
La réserve héréditaire « à la française » a des racines historiques profondes et puise son régime à la source de la légitime des pays de droit écrit et de la réserve des pays de coutume.
Dans un système successoral largement testamentaire, la légitime de droit romain était l'expression d'un devoir de famille restreignant la liberté de tester du de cujus. À ce titre, les parents en ligne directe bénéficiaient d'une action personnelle en complément de légitime contre le gratifié.
Dans un système successoral principalement dominé par la conservation des biens dans la famille, la réserve de droit coutumier rendait indisponible une fraction des biens propres du défunt qui était dévolue par l'effet de la loi aux héritiers acceptant.