En matière successorale, l’assurance-vie bénéficie d’un régime dérogatoire tant sur le plan civil que sur sa fiscalité. Mais, si ce régime dérogatoire permet de s’affranchir des règles du droit commun, il n’autorise pas tout et ne peut être utilisé ni pour déshériter ni pour échapper complètement au fisc. Nos explications.
Succession : les limites du régime dérogatoire de l’assurance-vie
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La théorie : les capitaux-décès d'une assurance-vie versés aux bénéficiaires n'entrent pas dans la succession
C'est une vérité sur le plan fiscal.
Effectivement, il n'y a pas d'impôt à payer sur les capitaux dévolus par le biais de l'assurance-vie, dans les limites prévues par la loi (conjoint ou partenaire de PACS exonérés, abattement de 152 500 € par bénéficiaire pour l'ensemble des contrats ; ou plafond de 30 500 € pour l'ensemble des prime versées à partir de l'âge de 70 ans révolus et sur tous les contrats du souscripteur).
L'autre plan sur lequel doivent être appréhendés les capitaux-décès versés aux bénéficiaires est le plan civil.
Les capitaux décès d'une assurance-vie versés à un ou plusieurs bénéficiaires ne font pas partie de la succession. Cela signifie qu’ils ne sont pas pris en compte dans l'évaluation du patrimoine global du défunt et qu'ils échappent ainsi au partage entre héritiers.
Mais, si en théorie et par opposition avec les libéralités consenties par le défunt (donations et legs) de son vivant, le capital-décès ne peut faire l'objet d'un « rapport à la succession » ni d'une « réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant » (cf. article L.132-13 1er alinéa, du Code des assurances), le même article, par son 2ème alinéa, introduit un bémol à cette règle et vient éviter les abus.
Que dit ce texte ? : « Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».
La notion de « caractère exagéré des primes »
Comment est-elle interprétée ?
Pour bien comprendre le principe, prenons un exemple concret :
Dans l'évaluation du patrimoine à leur partager, il convient donc de réintégrer le montant de la donation. L'actif successoral s'élève donc à 50 000 € + 160 000 € = 210 000 €.
Comme Mme. X a deux enfants, la quotité disponible dont elle pouvait disposer librement est égale au tiers et s'élève donc 210 000 € / 3 = 70 000 €. Le montant de la donation consentie à son concubin excède la quotité disponible (70000 €) et vient amputer la part réservataire des enfants. Elle devra donc être réduite de 90 000 € (160 000€ donation - 70 000 € quotité disponible). En pratique, le concubin conservera seulement 70 000 €. Les deux enfants se partageront donc 50 000 € de patrimoine + 90 000 € rapportés de la donation, soit 140 000 €. Ce qui leur fera également une part de 70 000 € chacun, au lieu de 25 000 € (50 000€ de patrimoine au décès / 2).
Reprenons le même cas, mais imaginons que Madame X, au lieu de consentir une donation à son concubin, ait procédé par un contrat d'assurance vie à son profit.
Nous savons que l'assurance-vie ne rentrant pas dans la succession, elle ne peut faire l'objet ni d'un rapport à la succession, ni d'une réduction pour atteinte à la quotité disponible. Le concubin toucherait donc le capital prévu au contrat, soit 160 000 €. Les enfants, eux, hériteraient des 50 000 € de patrimoine, soit 25 000 € par enfant.
Montant PART de chacun Quotité disponible:70000 € | Du PATRIMOINE Au jour du décès | De l'Assurance-Vie | Avec rapport de la DONATION à la succession |
---|---|---|---|
Concubin | 0 € | 160 000 € | 70 000 € |
Enfant 1 | 25 000 € | 0 € | 70 000 € |
Enfant 2 | 25 000 € | 0 € | 70 000 € |
Le tableau ci-dessus permet d'avoir une vision synoptique des différents modes de traitement des avoirs de la défunte et démontre l'avantage de traitement de l'assurance-vie pour favoriser une personne.
Mais ce régime dérogatoire de l'assurance-vie peut être source de difficultés entre bénéficiaires et héritiers, surtout s'ils entretiennent déjà des relations conflictuelles.
Au vu de cet éclairage, reprenons l'alinéa 2 de l'article L.132-13 du Code des assurances :
Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés
Dans notre exemple, si le concubin touchait 160 000 €, voyons comment se décomposerait cette somme.
Si les deux filles de Mme X s'estimaient lésées et portaient l'affaire devant la Justice, le juge estimerait-il que la prime initialement placée, soit 98 226 € était « manifestement exagérée eu égard aux facultés » (patrimoine et revenus) de Mme X au moment de la souscription ? (cf. jurisprudence constante de la Cour de Cassation).
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L'action en « revendication »
C'est par son biais que les deux héritières devraient demander la réintégration de la prime initiale dans la succession… Il appartiendrait au juge de le déterminer en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation. A elles de lui apporter des éléments probants à l'appui de leur demande
Les 3 principaux critères d'appréciation du juge
- l'importance des primes versées par rapport à la fortune du défunt ;
- l'importance des primes versées par rapport aux revenus du défunt ;
- l'âge, l'état de santé du souscripteur et l'utilité pour lui de conclure un contrat ;
Ces critères se doivent d'être appréciés au moment de la souscription et non au décès.
L'action en revendication appartient aux seuls héritiers.
Dans la pratique, elle est exercée principalement dans deux cas :
- par les enfants quand le contrat a été souscrit au bénéfice d'un tiers hors de la famille (concubin, etc.) ou d'un conjoint suite à remariage du défunt.
- par un héritier si le contrat profite à un autre héritier et déséquilibre la succession (exemple : enfant(s) désavantagé(s) par rapport à un autre).