La donation avec réserve d’usufruit : les démembrements stratégiques
L’un des inconvénients de la donation est qu’elle est irrévocable en principe, et d’effet immédiat : le donateur est dessaisi sans attendre du bien donné, ce qui peut être gênant, par exemple lorsqu’il s’agit de son habitation principale.
La donation avec réserve d’usufruit lui permet de conserver le droit d’utiliser les biens donnés tant qu’il est en vie, y compris le cas échéant de les mettre en location pour en retirer des revenus.
Au décès du donateur, l’usufruit rejoint la nue-propriété déjà transmise : le donataire devient propriétaire des biens donnés à part entière, sans avoir de droits de donation supplémentaires à payer. De plus, c’est une solution qui reste très avantageuse quant au calcul des droits au moment de la donation.
Sommaire
Présomption de propriété
L'article 751 du code général des impôts instaure une présomption de propriété pesant sur l'usufruitier lorsque la nue-propriété est détenue par l'un de ses héritiers. Cette présomption s'applique essentiellement lorsque le démembrement est réalisé entre des parents (qui se réservent l'usufruit des biens donnés) et leurs enfants (nus-propriétaires).
Bon savoir : La clause de réversion d'usufruit n'a aucune incidence sur le calcul des droits dus par le donataire.
Elle joue si l'usufruit des biens appartient au défunt au jour du décès, alors que la nue-propriété appartient à ses descendants, mais seulement si la donation réalisant le démembrement de propriété a été consentie jusqu'à 3 mois avant le décès.
Lorsque la présomption est appliquée, les conséquences sont sévères pour le donataire nu-propriétaire, ainsi que l'illustre une décision de la Cour de cassation (cass. com. 13 novembre 2003, n° 1539) : une personne consent à sa fille unique une donation portant sur la nue-propriété de plusieurs biens immobiliers. Les droits de donation sont pris en charge par la donatrice, qui décède moins de trois mois après la donation. L'héritière est redevable non seulement des droits de succession sur la valeur totale des biens donnés en nue-propriété, mais aussi sur les droits de donation qui avaient été payés par sa mère.
Attention :
Lorsqu'une donation avec réserve d'usufruit est envisagée, il est donc important de ne pas attendre le dernier moment.
Donation avec réserve d'usufruit : Un avantage fiscal certain
L'usufruit étant un droit temporaire qui s'éteint au décès de son détenteur, la pleine propriété se reconstitue automatiquement au profit du nu-propriétaire avec des droits de succession à acquitter réduits. En effet, hormis la taxe de publicité foncière de 0,615 % si l'usufruit porte sur un immeuble, la réunion de l'usufruit et de la nue-propriété ne donne lieu à aucun impôt ou taxe au décès de l'usufruitier, dès lors que la donation est régulière et date de plus de 3 mois.
Exemple :
Une personne donnant à l'un de ses enfants la nue-propriété d'un bien acquittera des droits de mutation à titre gratuit sur la valeur de la nue-propriété seulement (par exemple, 60 % de la valeur du bien si le donateur est âgé de 61 à 70 ans).
À son décès, l'usufruit s'éteint et l'enfant devient plein propriétaire du bien, sans aucun droit supplémentaire à acquitter. C'est cet avantage fiscal important qui a assuré le succès des donations avec réserve d'usufruit.
Le « nouveau » barème fiscal de l’usufruit
Depuis le 1er janvier 2004, un nouveau barème est appliqué (voir tableau ci-dessous) tenant compte de l'espérance de vie actuelle. L'actualisation de l'ancien barème, qui reposait sur des tables de mortalité datant de 1904, a un gros avantage : en revalorisant l'usufruit, elle permet de moins taxer les donations de nue-propriété (avec réserve d'usufruit), puisque la part de la nue-propriété dans la valeur totale du bien se réduit. À âge égal et valeur égale, une personne donnant la nue-propriété d'un bien voit donc l'assiette taxable diminuer.
Bon à savoir :
Le barème actuel de l'usufruit s'applique à toutes les mutations, qu'elles soient à titre gratuit ou onéreux (CGI art. 669 nouv.).
Pour toutes les donations « en famille », cela permet de donner la nue-propriété d'un bien d'une valeur supérieure, tout en restant à l'intérieur des abattements prévus entre parents et enfants (100 000 € tous les 15 ans), ou grands-parents et petits-enfants (31 865 € tous les 15 ans), donc sans payer de droits de donation.
Âge de l'usufruitier
Valeur de l'usufruit
Valeur de la nue-propriété
Jusqu’à 20 ans
90 %
10 %
De 21 à 30 ans
80 %
20 %
De 31 à 40 ans
70 %
30 %
De 41 à 50 ans
60 %
40 %
De 51 à 60 ans
50 %
50 %
De 61 à 70 ans
40 %
60 %
De 71 à 80 ans
30 %
70 %
De 81 à 90 ans
20 %
80 %
À partir de 91 ans
10 %
90 %
Diminution du cadeau fiscal
En revanche, pour tous ceux qui devront acquitter des droits de mutation (notamment parce qu'ils dépassent le montant de l'abattement), le gain n'est pas si évident. L'assiette taxable se réduit, mais les réductions de droits de donation ont, elles aussi, été réduites par la loi de finances.
Exemple :
Une personne de moins de 65 ans donnant la nue-propriété d'un bien bénéficiait auparavant d'une réduction de 50 % sur les droits à acquitter, ramenée désormais à 35 %. De 65 à 75 ans, cette réduction de droits passe de 35 à 10 %. Le montant des droits à payer se réduit donc moins que la revalorisation de l'usufruit ne le laissait espérer.
À noter :
Lorsqu'on envisage de transmettre à la fois des biens en pleine propriété et des biens avec réserve d'usufruit, il faut faire des calculs pour savoir laquelle des deux donations doit être réalisée avant l'autre (suivant l'ordre choisi, le montant des droits à payer, en fonction de l'abattement et de la réduction de droits, sera différent).
Une réduction de droits malgré tout
La donation avec réserve d'usufruit reste intéressante.
Exemple :
Une personne de 62 ans donne à son fils la nue-propriété d'un bien immobilier estimé à 140 000 €. Avec l'ancien barème (voir ci-dessous « la réforme de l’usufruit modifie la plus-value »), la nue-propriété valait 80 % de la valeur du bien, soit 112 000 €. Après abattement de 46 000 €, restaient 66 000 € imposables. Avec le nouveau barème, la nue-propriété ne vaut que 60 % du bien : soit 84 000 €, ramenés à 38 000 € après déduction de l'abattement. Nettement moins, certes.
À retenir :
L'absence de droits de succession sur l'usufruit est un des atouts majeurs de la donation en démembrement de propriété.
La réforme de l’usufruit modifie la plus-value
Un avantage fiscal a été souvent mis en avant : il consiste en une donation de titres sociaux à des enfants avec réserve d'usufruit au profit des parents, suivie de la vente des titres ainsi démembrés pour la valeur retenue dans la donation, neutralisant ainsi la plus-value de cession.
Du fait de l'abattement de 46 000 € (montant avant 2005) par époux et par enfant et de la réduction des droits de donation en fonction de l'âge du donateur, le coût fiscal était considérablement réduit. La baisse significative des réductions de droit applicables aux donations en nue-propriété et la revalorisation forte de la valeur de l'usufruit rendent beaucoup moins attractives ces opérations.
Petits effets pervers
Si la réforme du barème de l'usufruit, dont l'objectif était d'encourager les donations, est dans l'ensemble favorable, elle n'est cependant pas exempte de certains effets pervers. Ainsi, une personne ayant donné la nue-propriété d'un bien tandis que l'ancien barème était en vigueur, et donnant l'usufruit de ce même bien après l'entrée en vigueur du nouveau barème, aura payé des droits sur plus de 100 % de la valeur du bien (l'usufruit ayant « gonflé » entre-temps).
Toutefois, ce cas devrait rester assez marginal, la plupart des donateurs attendant simplement que leur usufruit s'éteigne avec eux. Par ailleurs, le conjoint survivant, lorsqu'il opte pour un usufruit sur la totalité de la succession, va se retrouver héritier d'un usufruit évalué à un prix plus élevé qu'auparavant, de sorte qu'il devra acquitter des droits plus élevés. Enfin, la donation de la nue-propriété d'un portefeuille-titres risque d'entraîner une plus forte imposition des plus- values de cession.
La réversion d'usufruit
Lorsque des parents envisagent de consentir une donation avec réserve d'usufruit, il est important d'inclure dans l'acte une clause de réversion d'usufruit au profit du conjoint survivant. En effet, faute de cette « précision », l'usufruit s'éteindra au premier décès : si le bien donné est un bien propre du conjoint prédécédé, ce sont les enfants nus-propriétaires qui en recevront la pleine propriété, au détriment du conjoint ; si le bien donné est un bien commun, les enfants donataires recevront la pleine propriété sur une moitié du bien et resteront seulement nus-propriétaires sur l'autre moitié. Avec la clause de réversion d'usufruit, le conjoint survivant peut continuer à profiter du bien (l'habiter ou percevoir un loyer).
Fiscalement, après le premier décès, le conjoint survivant bénéficiaire est redevable de droits de succession sur la valeur de l'usufruit transmis. Ils sont calculés selon les tarifs des transmissions entre époux, en fonction de l'âge du conjoint sur- vivant au jour de la réversion (décès). Le nouveau barème fiscal de l'usufruit, revalorisant celui-ci, est moins favorable que l'ancien pour ce calcul.